L’art, un milieu incompatible avec les outils numériques d’aujourd’hui ? Le monde artistique français dit non ! Au cours des années 2010, qui ont vu la démocratisation de la liseuse et de l’iPad, les musées et maisons d’édition spécialisées ont su s’adapter aux nouvelles attentes de leurs publics en proposant leurs propres livres d’art numériques : des e-books sous la forme d’e-albums ou d’e-catalogues. Aujourd’hui, en 2023, après la période de la Covid-19 qui a contraint les institutions à s’adapter en numérique, quelle évolution peut-on observer pour ces supports et leurs acteurs ?

E-books d’art : identité, support et outils

L’e-book –electronic book– correspond à tout écrit conçu et diffusé sous forme numérique, destiné donc à une lecture sur écran. De ce terme ont été créés des dérivés spécifiques au monde artistique : les e-albums et les e-catalogues, formats numériques des traditionnels albums et catalogues au format papier. Deux différences notables distinguent ces genres issus de la littérature artistique :

  • Le volume : l’e-catalogue contient plus d’une centaine de pages tandis que l’e-album n’en compte qu’une cinquantaine au maximum.
  • Leurs publics-cibles : l’e-catalogue est une ressource documentaire qui propose une version détaillée de chaque œuvre. Il est utilisé lors de missions patrimoniales et scientifiques par des professionnels. A l’inverse, les e-albums sont peu développés et ne sont utiles que sur le court terme, après une exposition, ainsi destinés à un public large ou encore au secteur de la presse.

En 2010, lors du lancement de l’iPad, les livres numériques étaient considérés par certains comme “l’avenir de la lecture”. Proposer une offre d’e-book est devenu la priorité de nombreux musées et maisons d’édition qui souhaitaient prendre le train de la “révolution e-book” en marche. Des livres d’arts numériques dits “enrichis” ont ainsi été développés, majoritairement au format Epub3 pour les liseuses ou sous format d’applications pour tablettes et téléphones. On trouvait également des propositions d’e-albums non linéaires qui rappellent le modèle du site web. En 2023, quel succès pouvons-nous constater pour ces premières expériences d’e-books artistiques ?

L’interactivité des livres numérique d’art : une innovation qui cherche encore ses marques auprès du public

Tout comme pour les livres classiques, le numérique a donné naissance à de nombreuses fonctionnalités pour les livres d’art, telles que la visualisation d’objets numérisés. Le format papier propose parfois des sources audiovisuelles accessibles en scannant des QR codes, ce qui implique l’utilisation d’un support numérique, tandis que la forme numérique des mêmes ouvrages épargne à l’utilisateur l’étape de passage sur le support numérique et rend le contenu enrichi plus accessible en moins de temps.

Exemple d'e-book dans l'art: Grand Palais Art Scan

Fiche de présentation de l’application Grand Palais Art Scan qui permet au visiteur d’obtenir des informations complémentaires sur les œuvres lors de sa visite des expositions.

Un des principaux atouts des e-books d’art, qui fait défaut au format papier, est la possibilité d’explorer de plus près les images grâce à des zooms, des déplacements grâce à la fonction tactile ou encore des visualisations à 360°. Il y a également un enrichissement avec l’ajout de métadonnées et d’éléments documentaires concernant la vie de l’artiste, des détails relatifs à sa technique ou encore l’histoire de l’œuvre.

Plusieurs enquêtes menées depuis les années 20101 se sont intéressées à l’opinion publique vis-à-vis des e-books d’art. Les résultats montrent deux phénomènes :

  • Peu de visiteurs téléchargent les e-catalogues ou les e-albums : la plupart de ceux équipés d’un support permettant leur visualisation ne connaissent pas leur existence.
  • Ceux qui ne les téléchargent pas considèrent que le fait de garder le contact direct avec l’œuvre en allant visiter l’exposition reste « plus intéressant à vivre »2.

Deux contraintes majeures ont également été soulevées, expliquant en partie ce faible succès. D’abord, les informations, souvent redondantes avec l’exposition physique, enlèvent l’intérêt de l’existence de diverses formes éditoriales : « Pour nos participants il n’y a pas toujours de différence entre un dispositif de médiation dédié à la visite in situ et un dispositif de médiation conçu pour être lu en dehors de l’institution culturelle »3.

Autre contrainte qui semble empêcher les usagers de privilégier le format numérique des livres d’art : le coût du support. Apple Store est la plateforme commerciale qui dispose du plus grand catalogue d’e-books d’art, d’où la nécessité de disposer d’un outil Apple afin d’accéder aux ouvrages.

Aujourd’hui, pourquoi le public semble-t-il privilégier le format papier malgré le prix plus bas de la forme numérique de ce type de publications ? Il est toujours plus facile de se rendre compte de la valeur d’un objet lorsque l’on a accès à sa forme physique4. Les livres d’art en papier vendus à 45€ en librairie justifient leur prix par la qualité du support physique, ce qui est impossible avec le support numérique. Ils sont souvent perçus comme des objets indissociables de leur forme physique en raison du caractère unique des œuvres dont ils mettent en place les représentations. Le catalogue papier apparaît donc presque comme une œuvre d’art à part entière de par sa qualité d’objet.

E-books au musée : un essoufflement au profit des expositions numériques

Si entre 2010 et 2014 beaucoup de communication a été faite par les musées autour des e-albums et des e-catalogues, ces termes ne sont guère utilisés à partir de 2017. À titre d’exemple, le dernier e-album édité par RMN-GP date de 2018. Cependant, le numérique a trouvé sa place autrement dans les dispositifs de médiation des institutions culturelles : aujourd’hui, les supports visuels, que l’on trouvait auparavant en tant qu’enrichissements dans les e-catalogues, se voient mis en avant dans les expositions physiques, que ce soit sur des tablettes fournies par le musée ou bien sous forme d’application à télécharger pour accompagner la visite.

Les trois dernières années ont également significativement marqué la manière dont les musées pensent leurs médiations grâce au numérique. Les différents confinements dûs à l’épidémie du Covid-19 ont incité ces derniers à proposer des expositions virtuelles sous le format de livres-web ou de sites web, dont le contenu rappelle les e-books d’art. Sur Twitter, le hashtag #confinementmuseeirl a été utilisé par les différentes institutions pour mettre en avant ces nouvelles ressources qui sont à l’intermédiaire entre l’e-book d’art et le site web.

Expo virtuelle centre Pompidou

Quelques exemples des expositions virtuelles accessibles sur le site web du Centre Pompidou

L’édition numérique de livres d’art : quel avenir ?

Est-ce juste d’assumer que les e-books d’art ont cédé la place aux expositions virtuelles ? L’édition numérique artistique a souffert d’un certain essoufflement que l’on a pu constater d’une part dans les musées, mais également par la disparition de certaines maisons d’éditions spécialisées dans les e-albums comme la maison d’édition Gravitons. L’édition numérique d’art n’en est pas pour autant obsolète : actuellement, plusieurs maisons d’éditions et magazines proposent des offres d’e-albums et e-catalogues.

livres numériques beaux arts

Extrait du catalogue d’e-books d’art proposé par VisiMuZ Éditions

Naima, une maison d’édition spécialisée dans l’art et la création contemporaine, propose des catalogues d’expositions et livres d’artiste au format numérique (Epub3). VisiMuZ Editions est spécialisée dans les e-books de Beaux-arts aux formats Epub et Mobi (format d’Amazon) et est la première à avoir proposé une offre de ce type d’ouvrages en français. Autre exemple, Art Book Magazine est une librairie en ligne qui propose une sélection de livres autour de l’art et du design, dont des catalogues au format Epub. De nouveaux acteurs émergent également en développant des outils numériques pour permettre aux artistes de créer eux-mêmes leur e-catalogue ou e-album, avec comme exemple Arteia, entreprise proposant un accompagnement dans la gestion des collections et la création de catalogue au format PDF.

Les e-books sont-ils donc encore d’actualité dans le monde de l’art ? Nous sommes d’avis que oui !

Article rédigé et proposé à Numipage par Stephania Slavcheva et Eugénie Michel, étudiantes à
l’ENSSIB.

Notes

1 En particulier l’enquête Credoc de 2016 et l’enquête RMN-GP de 2015 dont les résultats sont
présentés et analysés dans Livres d’art numériques. De la conception à la réception, p.66-90

2 MED6 du Focus group du 8 octobre 2015, mené par SAEMMER Alexandra et TRÉHONDART
Nolwenn, dont les résultats sont présentés et analysés dans Livres d’art numériques. De la
conception à la réception
, p.74, Éditions Hermann, 2017

3 AMAR Muriel et VIGUÉ-CAMUS, “Lost in médiation? Une étude des e-albums d’exposition”, dans
Livres d’art numériques. De la conception à la réception, p.75, Éditions Hermann, 2017

4 BIJON Thomas (responsable des éditions numériques de la RMN-GP) dans l’entretien mené par
TRÉHONDART Nolwenn et HAUTE Lucie Livres d’art numériques. De la conception à la réception, p.
101, Éditions Hermann, 2017

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