L’Open Science a actuellement le vent en poupe, soutenu par des décisions politiques et par l’engagement de structures d’éditions savantes. Parmi elles, on retrouve les éditions universitaires : rattachées à des lieux d’enseignement supérieurs et à leurs laboratoires, elles sont parfaitement placées pour servir d’étendard à de nouvelles méthodes de publication. Pourtant, on remarque que leur communication reste principalement centrée sur des produits d’éditions classiques : des livres savants encore très éloignés de la science ouverte. On peut se demander pourquoi, et nous allons chercher à y répondre dans ce court article !
Définir l’open science
Chaque voie a ses avantages et ses défauts. En France, et plus largement en Europe, les institutions encouragent les éditeurs à se diriger vers la voix diamant. C’est une voie particulièrement pertinente pour les acteurs publiques ou non-lucratifs de l’édition, qui fonctionnent déjà grâce au soutien de financements publiques.
Le mouvement de la science ouverte a un double avantage. En premier lieu, il permet une diffusion plus large et un accès simplifié aux connaissances, au lieu de les maintenir verrouillées derrière des abonnements ou authentifications. Les archives ouvertes HAL sont un exemple d’accès libre et ouvert. En second lieu, la science ouverte vise à faire des économies : le champ des revues scientifiques en particulier est très coûteux en abonnements et frais de publication, et l’Open Science vise à régler ce problème par des financements en amont.
L’Open Science vise ainsi à favoriser plus d’ouverture, plus d’interdisciplinarité, plus de collaboration, en traitant de la science comme un bien commun et non comme un marché. C’est une opportunité pour des chercheurs de gagner en visibilité, pour d’autres de travailler avec davantage de données, pour des lecteurs et institutions de moins dépenser, et pour les éditeurs de changer d’objectifs, en allant davantage vers un travail d’expertise et moins vers un but commercial.
Commençons par le commencement : l’Open Science (ou science ouverte) est un mouvement qui a pour but de favoriser la publication et la diffusion des données de la recherche. Plus concrètement, ce mouvement s’appuie sur les possibilités offertes par le numérique et l’utilisation qu’en font les chercheurs pour mettre à disposition de manière gratuite et libre les résultats de la recherche. Par “libre” on entend des données accessibles, réutilisables et interopérables, la question va donc bien au-delà de l’étape de publication. Dans l’Open Science, la science et les connaissances sont perçues comme des biens communs qui doivent être profitable à tous.
Aujourd’hui, il existe de nombreux modèles de science ouverte pour la diffusion des œuvres. On en distingue quatre : la voie verte, la voie dorée, la voie diamant et les modèles hybrides. La voie verte correspond à l’auto-archivage, ce sont donc les auteurs qui déposent leurs travaux sur différentes plateformes (à l’instar de la plateforme HAL). La voie dorée représente les revues en accès ouvert financées par des frais de publications : les auteurs paient quand leur article est diffusé. La voie diamant est celle permettant la gratuité pour les auteurs et les lecteurs, avec un financement en amont par des associations, institutions, ou encore mécènes. Pour terminer, les modèles hybrides mélangent plusieurs fonctionnements : le freemium est gratuit avec des fonctionnalités avancées payantes, la revue hybride est sur abonnement mais propose aux auteurs de payer l’accès ouvert de leur article (comme la voie dorée), le suscribe-to-open propose tout son contenu en accès ouvert une fois un certain nombre d’abonnements engagés.
Ainsi, en France, la Loi pour une République numérique impose comme normalité la diffusion ouverte des articles scientifiques, avec comme exception une période “d’embargo” allant de 6 à 12 mois. Dans les faits, l’embargo est systématiquement mis en place par la plupart des éditeurs qui compte sur les achats et abonnements pour se financer. Cette Loi reste cependant un signe puissant en faveur de la science ouverte et résonne avec les décisions de l’Union Européenne. Plusieurs institutions – comme le Conseil Scientifique – se sont engagées pour le Plan-S qui assume un objectif fort : rendre quasiment obligatoire la diffusion ouverte des productions scientifiques, qu’il s’agisse d’articles de revues ou d’ouvrages universitaires.
En France toujours, le plan national pour la science ouverte est mis en place depuis le 4 juillet 2018, et il rend obligatoire l’accès ouvert pour les publications et pour les données issues de recherches financées par des fonds publics. Il propose aussi des appels à projets auxquels les différents éditeurs peuvent répondre, et notamment les éditions universitaires.
Où en sont les éditions universitaires ?
La grande majorité des presses universitaires françaises relèvent du domaine public (avec parfois des différences de statuts : associations loi 1901, société coopérative d’intérêt collectif, service commun de l’université…). Etant publiques, on peut se demander si les maisons d’éditions universitaires sont tenues de publier en open-science ? Les éditions universitaires sont des organismes publics, qui doivent diffuser publiquement les recherches financées par fond publics, mais contrairement aux éditeurs privés, elles sont rarement concernées. En effet, elles publient principalement des ouvrages écrits par des chercheurs, souvent en dehors de leur temps de travail, et principalement diffusé en versions imprimées. Un cas très différent des revues numériques !
Il y a beaucoup de communication réalisée autour du mouvement de la science ouverte. En ce qui concerne les maisons d’éditions universitaires, cette communication passe surtout par les réseaux sociaux et notamment Twitter. En quelques mois de veille nous avons vu de nombreux exemples. Nous pouvons citer la communication de l’université de Reims ou celle de l’université de Lorraine qui sont des exemples parmi de nombreux autres.
De plus grosses plateformes comme Open Edition (qui rassemble de nombreuses maisons d’éditions universitaires françaises) communiquent également sur la question.
On comprend donc que la question de la science ouverte et de sa mise en place est au cœur des préoccupations de l’édition scientifique et donc des maisons d’éditions universitaires qui en sont des acteurs. Pourtant, elles ne publient que rarement, voire jamais, en Open Access. Pourquoi ?
La diffusion en Open Access : quels obstacles ?
Le premier obstacle est financier. L’édition en Open Access, y compris en voie diamant, a un coût. Or, les maisons d’édition universitaires ont des budgets serrés, principalement centrés sur des ouvrages imprimés, très éloignés donc des éditeurs de revues et de leurs modèles numériques. Cette différence s’observe jusque dans les mouvements politiques, où les ouvrages savants ne sont pas mis au même niveau de priorité, pour l’accès ouvert, que les articles scientifiques.
Les éditions universitaires sont pourtant bien en faveur de l’Open Access, mais leurs engagements sont rarement suivis d’actes, par manque de moyens, de connaissances sur le sujet ou de temps à y accorder. Souvent, les trois à la fois. C’est aussi renforcé par les objectifs des auteurs publiés : ils veulent certes être diffusés et faire connaître leurs travaux, mais aussi rentrer dans leurs frais, l’écriture de leurs ouvrages se faisant largement en dehors de leurs heures rémunérées. Pour les éditions universitaires, publier un ouvrage en accès ouvert est donc, a priori, difficilement envisageable, ce qui explique le manque de communication sur leurs propres publications ouvertes.
Mais peut-on considérer que la raison économique est suffisante ?
Nous l’avons mentionné plusieurs fois : les éditions universitaires sont publiques. La notion de production scientifique comme bien commun ne devrait pas être, pour elles, une orientation politique, mais plutôt une évidence. En traitant différemment les ouvrages des articles, les éditions universitaires introduisent aussi une hiérarchie sur les productions savantes. D’un côté les articles, revus par les pairs, avec l’objectif de faire progresser les connaissances globales avant de chercher les bénéfices ; de l’autre les ouvrages, pas toujours revus par les pairs, qui seraient peut-être moins fiables scientifiquement, ou avec d’abord un objectif de rentabilité. On peut interroger la pertinence, mais aussi les conséquences, de cette distinction. On peut aussi citer à nouveau l’université de Reims qui diffuse en accès ouvert une partie de ses ouvrages, preuve que ce n’est pas impossible. Plus qu’économique, la véritable raison semble être un manque d’engagement des maisons d’édition universitaire.
Conclusion : un défi à relever pour les éditions universitaires
Comme nous le disions, l’Open Access a le vent en poupe. Dans un monde où l’accès verrouillé à la connaissance est de plus en plus critiqué, au profit d’un partage de biens communs, les ouvrages savants font de plus en plus figure d’exception. Leurs éditeurs, souvent des éditions universitaires, sont pourtant des acteurs privilégiés pour faire ce pas : déjà financées par des fonds publics, avec des objectifs non-lucratifs, propices à collaborer avec les plateformes déjà existantes. Les éditions universitaires ont besoin de prendre conscience de cette opportunité, de s’emparer de ce défi, pour évoluer avec le reste du champ de la publication scientifique.
Article rédigé et proposé à Numipage par Jonathan Juy et Zoé Noël, étudiants à
l’ENSSIB.
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